Ollivier Ruca

ARTISAN DE MOTS

ARTISAN DE MOTS

En 1638, Nicolas Poussin peignait les bergers d'Arcadie.

Sur plus de 1500 publications consacrées depuis à celui que beaucoup de chercheurs et historiens considèrent comme un génie national, près de 300 font état d'un secret inestimable qui serait véhiculé par cette toile.

Le nom de Nicolas Poussin ne brille pas au firmament des peintres les plus reconnus du grand public. On peut sans doute voir dans le carcan religieux et mythologique dans lequel il est enfermé une des raisons de ce relatif désintérêt. En tout cas, loin des surréalistes, cubistes ou impressionnistes de renom, les quelques expositions internationales de prestige qui lui sont consacrées sont loin d’avoir le même retentissement que celles de Picasso, Van Gogh ou Gauguin.

Par contre, il n’est pas un musée, pas un peintre qui ne connaisse Nicolas Poussin. Car c’est un précurseur. Dans l’art de la peinture, on peut le classer au même rang que Léonard de Vinci, ou Galilée pour la science. Il rédige des essais sur la perspective, s’interroge sur le rôle des couleurs, de la lumière, se bat pour établir l’importance de la ligne dans toute œuvre, perfectionne la boîte à image. Son influence est énorme. Il est incontournable dans l’histoire de la peinture et au-delà, c’est une figure majeure de l'histoire de l'art.

Même si vous n’avez jamais entendu parler de Poussin et encore moins de cette toile, le thème du secret de Poussin, encore une fois, n’a rien de nouveau. Ce qui, en revanche, est complètement novateur, c’est l’hypothèse d’un historien, inconnu du grand public : Honoré Gueccours, qui dit avoir déchiffré cette carte au trésor que seraient les Bergers d’Arcadie.

Je parle de carte à dessein, car c’est bien de trésor dont il sera question ici. La route que nous allons prendre ce soir est celle d’une enquête policière où le monde de Stevenson et de son île au trésor croise le fer avec l’épée de d’Artagnan, car nous allons plonger au cœur du 17ème siècle et les personnages que nous allons rencontrer n’ont rien à envier à John Silver ou Chien Noir courant après la carte du capitaine Flint ou aux machinations étatiques et diaboliques du cardinal de Richelieu.

Un trésor, c’est la somme de trois éléments. Tout d’abord, la carte, l’indispensable carte matérialisée très souvent par un parchemin ou un manuscrit. C’est elle qui conduit vers le second élément : le coffre. La carte et le coffre sont indissociables. Troisième élément, c’est la clé, qui est parfois une formule, un passage, mais qui est également très présente dans toute quête au trésor.

Un trésor est donc la simple addition de ces trois éléments. Carte + Corffre + Clé = Trésor. C’est une vision un peu schématique, mais c’est pourtant sur cet axe que s’inscrit cette révélation.

Que dit Gueccours ? Comme tant d’autres, que cette toile de peinture conduit à une fabuleuse découverte. En d’autres termes, c’est une carte au trésor.

Approchons-nous de ce premier élément, de cette toile qui véhiculerait ce secret, de ces bergers d’Arcadie qui serviraient de carte.

A priori, cette peinture n’a absolument rien de bien exceptionnel. Pour l’époque, elle respire même la normalité, baignant dans une ambiance ou mythologie, baroque, classicisme et approche pythagoricienne se chevauchent. Elle est représentative des peintures alors admises par le tout puissant Saint-office, la nouvelle Inquisition, qui impose sa volonté de fer par la torture et le bûcher.

     a) Le titre, tout d’abord : les bergers d’Arcadie. Le terme bergers s’entend vraisemblablement, non pas comme le gardien de troupeau, mais plus sûrement comme celui qui mène, qui guide, qui montre la voie. De Noé à Moïse, en passant par Jésus Christ, l’Ancien et le Nouveau Testament regorgent de bergers. Quant à l’Arcadie, c’est un thème mythologique souvent utilisé. L’Arcadie, terre caillouteuse et sauvage des dieux olympiens, patrie des peuples de la mer, des Pélasges, pays de Jason et des argonautes, du célèbre Hercule, le personnage favori de Poussin. L’Arcadie est un sujet classique emprunté à la mythologie grecque.

     b) Le format de la toile ne donne lieu à aucun commentaire particulier. Elle mesure 1,21 m de long sur 0,85 m de large. Cette dimension correspond parfaitement aux formats utilisés par Poussin à cette époque. Après des fresques énormes pour décorer des églises, le peintre est revenu à des toiles sur chevalet.

     c) Le contenu

– Trois hommes dont un a un genou à terre devant un tombeau et une femme. Plutôt jeunes. Celui qui a le genou à terre pointe sur le tombeau une inscription latine qui fait couler des litres d’encre. « Et in Arcadia ego », ce qui peut se traduire par « moi aussi j’ai été en Arcadie », ou « moi aussi, en Arcadie, je suis ». Est-ce une indication précise qui a un sens ? A ce stade, rien ne permet de l’établir. Comme Poussin a peint une première version des bergers d’Arcadie dix ans auparavant, version dans laquelle un crâne apparaît, beaucoup de « poussinistes » avertis avancent que cette toile est une réflexion sur la mort.

– Aucun abus de couleur. Le terme de sobriété apparaît approprié. Notons simplement que le peintre semble couper presque sa toile en deux sur le plan de la lumière. Une partie plus claire, plus ensoleillée à gauche ; une partie plus sombre, plus nuageuse à droite. Du blanc au noir, de la lumière aux ténèbres, du levant au couchant, faut-il voir dans cette dualité une volonté du peintre ?

     d) L'histoire

Peinte en 1638, la toile reste en possession de Poussin jusqu’à sa mort, en 1665, avant de rejoindre, vingt ans plus tard les appartements privés de Louis XIV, et finir enfermée dans les caves royales après la disparition du roi Soleil. C’est peut-être ce qui a sauvé les bergers des révolutions et des guerres. A partir de 1685, elle ne quittera plus les collections royales et nationales. Il manque vingt ans de la vie du tableau, une miette sur l’échelle du temps.

     e) Une œuvre personnelle

Un détail cependant. L’art de la peinture étant très réglementé, il est rare qu’un artiste peigne pour lui-même. Cet art est lié à des commanditaires exclusivement aristocratiques et religieux. Parmi les 200 toiles attribuées à Poussin, elle est une des seules dont le commanditaire est inconnu. Cette peinture est ce que l’on appelle une œuvre personnelle, ce qui est rare pour l’époque. Si le peintre a effectivement codé sa toile, on comprend tout son intérêt de la conserver auprès de lui malgré un succès retentissant, et des offres qui ne manquent pas.

Absolument rien dans la toile ne laisser penser à une carte au trésor. Dans l’œuvre de Poussin, dans les thèmes retenus, rien de choquant, rien d’anormal. Nous sommes loin d’un trésor. Si cette toile est réellement une carte au trésor, elle n’en présente aucunement le plus petit aspect. Elle est vue chaque jour par des milliers de visiteurs.

Même si près de 300 publications, sur les 1500 consacrées au peintre, avancent que la toile est une carte, rien, jusqu’à présent hormis cette rumeur persistante.

Honoré Gueccours prétend que cette carte au trésor que seraient les bergers d’Arcadie conduit au château de Puivert, dans l’Aude. Après la carte, nous aurions ainsi le coffre. Observons la fortification.

On y accède très facilement à pied et pour les moins courageux, un parking est même situé juste à l’entrée du Château.

A première vue, le château n’a rien de bien extraordinaire non plus. Pas de douve, pas de meurtrières, il n’existe pas un sentiment d’invulnérabilité, sauf pour la tour. Ce qui frappe, c’est la forme du château. Jean Tisseyre, qui a consacré beaucoup de temps à écrire son histoire, appelle Puivert la barque de Pierres. Indéniablement, il y a tout d'un bateau dans les formes de Puivert.

Cette forme bien particulière se vérifie sur les plans du château. Ce dernier est parfaitement orienté est-ouest. La partie ouest représente la proue, l’avant du bateau. Formes arrondies. La partie est, c’est l’arrière, la poupe, la haute tour de trente cinq mètres de haut faisant office de mât. Notons également que cette forme est définitive depuis le milieu du 14ème siècle, mais que la construction initiale, avec la tour carrée, est du 10ème. C’est ce que nous retiendrons ici.

Ce que nous retiendrons également, au-delà d’une histoire riche, mais oubliée, c’est que le château de Puivert est ouvert toute l'année, contre 4€, qu’il a été classé dès 1907 comme monument historique et qu’il appartient depuis 1995, à un propriétaire privé, un ancien notaire parisien originaire de Narbonne : Michel Mignard. En fait, appartenait, car Michel Mignard est décédé en 2006 et c’est son fils Arnaud qui a repris le flambeau

Mais où est-il ce château ?

Le château se situe dans le département de l’Aude, sur l’ancienne nationale qui longeait les Pyrénées d’est en ouest. C’est une région que l’on peut d’abord qualifier de carrefour.

     a) Carrefour géographique d'abord. Pour contourner le massif Central, c’est un point de passage obligé entre la vallée du Rhône et les plaines d’Aquitaine. Pour éviter les Pyrénées, avec le pays basque, c’est également un point de passage obligé le long de la Méditerranée.

     b) Carrefour humain, ensuite, car se sont croisées ici un nombre incomparable de civilisations. Celtes, Ibères, Egyptiens, Bébryces, Phéniciens, Grecs, Volques, Romains, Wisigoths, Maures, Juifs, Occitans, Francs… La liste n’est pas exhaustive. On parle de melting pot pour les Etats-Unis, On peut lancer ici le terme de melting top tant le brassage des ethnies est important dans cette région.

         c) Carrefour économique également entre le Nord et le Sud, mais également entre l’Est et l’Ouest par l’entre deux mers que représentent l’Atlantique à l’ouest et la Méditerranée à l’est. Trois ou quatre mille ans avant JC, c’est là que se situait la route principale de l’étain qui servait avec le cuivre à la fabrication du bronze. La région est riche en minerais, notamment en or. Les premiers comptoirs phéniciens favorisent son développement. Plus tard, les voies romaines permettront à la région des échanges avec toute l’Europe.

Aujourd’hui, mis à part Toulouse et sa technologie, la région n’apparaît pas très bien lotie. Le château se situe dans une région qui vit aujourd’hui essentiellement du tourisme, de la viticulture et de l’aéronautique. C’est un des départements français avec le plus faible revenu par habitant. On est très loin de la prédominance économique et politique que cette région a exercée jusqu’à son rattachement définitif au royaume de France en 1271. A cette époque, Toulouse est la troisième ville d’Europe, loin devant l’embryon de pouvoir que représente alors Paris.

     d) Carrefour historique enfin

Ce n’est pas le génocide cathare oublié, avec son siècle de conflit et son million de victimes qui me contrediront, pas plus que le nombre impressionnant de vestiges qui témoignent de cette histoire. Puivert est loin d’être le seul. 34 châteaux et 10 villes fortifiées sur un rayon de cent kilomètres carrés, Carcassonne, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’humanité étant la fortification la plus connue.

Si nous zoomons, l’Aude appartient à la région Languedoc-Roussillon, dans le sud-ouest de la France.

Rendons-nous enfin dans le canton de Chalabre, à Puivert, haut lieu du catharisme, puisque Puivert est considéré comme la capitale des troubadours et des cours d’amour. Jusqu’en 1152, date à laquelle Trencavel cèdera le Kercorb à l’Aragon, ce pays avait son sort lié à celui du Razès, son voisin. On l’appelle aussi, la Terre privilégiée.

A partir d’une toile du Louvre peinte par Nicolas Poussin, Honoré Gueccours affirme que cette œuvre conduit à ce château. Rien jusqu’à présent ne permet d’affirmer avec certitude que cet homme a raison ou tort. Notons simplement que le secret de Poussin est comme l’Arlésienne, que l’hypothèse de cet historien est complètement nouvelle et que les deux éléménts proposés n'ont rien de secret. Ils sont du domaine public dans la mesure où chacun y a accès.

Si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle les bergers d’Arcadie sont porteurs d’un secret, il y a un point incontournable : celui qui a peint les bergers avait un secret. CQFD. Les bergers ne peuvent être une carte que si Poussin détenait un secret. Il n’y a pas d’autre alternative.

Poussin détenait-il véritablemement un secret ? C'est à cette question que nous allons essayer de répondre.

En terme de chiffres, le bilan que l’on peut dresser sur Poussin est le suivant : 1500 publications, 500 croquis, alors que l’artiste en a commis des milliers, 200 tableaux, des dizaines de sculptures, 200 lettres toutes postérieures, sauf une ou deux sans intérêt, à 1638, date à laquelle il peint les bergers, un ou deux essais sur la peinture.

Poussin est un peintre d'actualité. Une des dernières toiles mise en vente sur le marché en janvier 2007 a été acquise par le MBA de Lyon, avec l’aide du Louvre et de plusieurs multinationales pour 17 millions d’euros. Un nombre impressionnant de chercheurs et historiens se sont penchés et se penchent encore sur cet artiste dont on retrouve assez régulièrement des œuvres.

Quelques lieux communs se dégagent quand on parle de Poussin. Les qualificatifs ne manquent pas : peintre, savant, érudit, archéologue, spécialiste de la mythologie… Son influence, considérable, se mesure à travers la spéculation et les faussaires qui se déchaînent. Il a connu les plus grands, l’amitié de Rubens et de Galilée, l’intimité du pape Urbain VIII, Richelieu, Louis XIII, Mazarin…

Les analyses autour de Poussin sont assez consensuelles. Il existe bien des polémiques concernant certaines datations ou certaines interprétations, mais globalement, une grande cohésion existe entre toutes les publications publiques ou privées. Quand il s’éteint à Rome, en 1665, il a atteint l'âge canonique de 71 ans, alors que l’espérance de vie frise autour de la quarantaine. Louis XIV règne véritablement depuis quatre ans, à la mort de Mazarin. Le peintre est considéré comme un génie. Français et Italiens se le disputent. Et pour cause : s’il est né et qu’il a grandi en France, il a passé les 40 dernières années de sa vie à Rome, à part une parenthèse parisienne de 1640 à 1642.

Un large consensus, mais deux écoles s'opposent ici. Les officiels, les « bluntistes » qui affirment dur comme fer que Poussin n’était rien d’autre qu’un peintre génial. L’école anglaise, qui relance sans cesse la question des bergers d’Arcadie comme réceptacle d’un secret. Un débat animé et houleux entoure la toile. Bizarrement,  bien peu s'interrogent sur la personnalité du peintre.

Au-delà du peintre, l’homme est au centre d’une grande polémique. Poussin détenait-il un secret ?

Paradoxalement, les ouvrages les plus sérieux, nous pensons ici à ceux de Anthony Blunt, de Jacques Thuillier ou d’Alain Mérot, insistent sur la vie très mal connue de Nicolas Poussin, sur toutes les zones d’ombre qui l’entourent. L'existence de Poussin est comme un gruyère : de la matière avec beaucoup de trous.

Poussin naît aux Andelys en 1594, quatre ans avant l’édit de Nantes qui met fin à une boucherie dont la Saint-Barthélémy, plus de vingt ans auparavant, en est l’illustration la plus connue. Il voit le jour dans une France dévastée par les guerres de Religion. La peur règne partout. Les deux camps rivalisent de bestialité. Comme les grandes familles d’Europe se déchirent tout autant, le tableau est apocalyptique. Ajoutons la peste et la famine et l’on aura une idée de la vie dans les campagnes. L’économie est ruinée. Seule Paris a quelque peu échappé aux carnages. Les Andelys se trouvent le long de la Seine, à une centaine de kilomètres de la capitale et une cinquantaine de Rouen.

Poussin naît dans une famille protestante. Sa mère a épousé en seconde noce Jean Poussin, qui a combattu aux côtés d’Henri de Navarre, le futur Henri IV, et dont la famille a été ruinée par les guerres. De son premier mariage, la mère de Poussin a une fille et Poussin, par voie de conséquence, une demi-sœur. Plus tard, cette dernière épousera un sieur Le Tellier dont l’un des fils sera fait légataire universel par Poussin à sa mort. Sans vivre dans l’opulence, la famille Poussin trouve sa place entre notables et petite noblesse. Les fortes affinités protestantes de Jean Poussin sont incontestables. La position de la famille doit être inconfortable. L’Edit de Nantes ne fait que tolérer les protestants. Le fait d’appartenir à une famille protestante n’a jamais été un frein à l’évolution du peintre. Loin de là. Il est surprenant de voir avec quelle facilité, trente ans plus tard, Nicolas parviendra à rentrer dans le clan des intimes de Mafféo Barberini, le pape Urbain VIII.

Quelques années plus tard, Poussin semble intégrer le collège des Jésuites de Rouen, un des seuls collèges épargnés par les guerres de Religion. Semble, car rien de cela n’est prouvé. Là encore, les origines protestantes de l’enfant n’empêchent pas son intégration. Nous n’avons aucune certitude. La jeunesse de Poussin n'est que supputation. On lui prête les encouragements et les conseils de peintres de moindre renom comme Noël Jouvenet ou Quentin Varin. Nul doute que ses qualités pour le dessin ont du être vite repérées par les Jésuites. On lui prête aussi un départ précipité des Andelys après un amour poussé un peu trop loin. Poussin est jeune, bon vivant. Ce qui apparaît établi, en revanche, ce sont les années de galère que va vivre le peintre pendant dix ans. Son père envoie des mandats pour payer ses dettes. Une santé précaire le ramène régulièrement dans la maison familiale où il se ressource et reprend des forces. Il a du mal à exercer son art. Pour peindre, il faut être autorisé, surtout à Paris, qui se dispute avec Rome le titre de capitale culturelle de l’Europe. Il végète à repeindre les chapelles dévastées. Même s’il végète, c’est un travail suffisamment important pour se dire que Poussin a déjà acquis une grande technique dans la peinture.

La fin de la galère pour le peintre, c’est un concours organisé par les Jésuites en l’honneur d’Ignace de Loyola, leur fondateur. Pour Poussin, ce sont les rencontres avec le prestigieux Philippe de Champaigne, la reine mère Marie de Médicis, un jeune et ambitieux conseiller du nom de Richelieu et l’école de Fontainebleau. C’est aussi la rencontre avec un aventurier poète célèbre, le cavalier Marino, ami intime des Barberini, mais également très proche de Marie de Médicis. Marino, qui se lie très vite d’amitié avec Poussin, sert d’émissaire privé entre Rome et Paris. Le mot d’espion peut-il être employé ?

C’est la première zone d'ombre dans la vie du peintre. En considérant le contexte de l’époque, nous n’en sommes sûrement pas loin. Marino et Poussin deviennent inséparables. Le peintre illustre les poèmes de son ami. A son tour, il commence à rendre quelques petits services à Marie de Médicis, accompagne son ami à Rome et rencontre Mafféo Barberini, devenu le pape Urbain VIII depuis quelques mois. Nous sommes en 1624. Poussin va avoir trente ans. Il va rapidement prendre son envol.

Trois ans plus tard « La mort de Germanicus », tableau commandé par les Barberini, le consacre comme un grand peintre. Il n’est pas question de remettre en cause le talent de Poussin, mais son ascension et sa reconnaissance sont fulgurantes. Le talent de Poussin est indéniable. Pourtant, il n’a fréquenté aucun atelier de peintre, n’a appartenu à aucune école de peinture, mis à part, peut-être, l’école de Fontainebleau dans les années 1620. C’est un parfait autodidacte. C’est un protestant de souche. Il est encore inconnu. Dans la floraison de peintres qui vivent à Rome, pourquoi avoir choisi un autodidacte protestant, français de surcroît ? Pourquoi lui et pas un autre ? Les grands talents sont légions à Rome.

L’intérêt d’Urbain VIII pour Poussin ne trouve pas d’explication formelle. L’amitié de Marino est un morceau du puzzle. Le reste est bien flou. La personnalité d’Urbain VIII ne baigne pas dans le gratuit. Il est légitime de s’interroger sur ce point. Quelle est la motivation du pape ? Poussin est-il un espion ? Existe-t-il un pacte entre Poussin et Urbain VIII. Le pape offre-t-il au peintre la gloire et la célébrité contre une mission dont les contours nous échappent ?

La gloire est au rendez-vous pour Poussin. Les ennuis aussi. En 1630, il tombe gravement malade. A l’article de la mort, le salut vient d’une jolie infirmière, Anne Dughet. Nicolas l’épouse. Elle a dix-sept ans, lui va sur ses trente sept. Ils n’auront pas d’enfant. Malgré une santé toujours fragile, le travail reprend ses droits sous la haute protection des Barberini. Poussin semble intouchable. Sa renommée gagne toutes les cours d’Europe. Poussin a définitivement élu domicile à Rome. Ici se situent deux nouvelles zones d'ombre dans la vie de l’artiste.

La première est celle de sa maladie. C’est un nouveau paradoxe chez Poussin. La maladie est constamment présente chez lui. Parmi les cent soixante cinq lettres que nous conservons aujourd’hui du peintre, rares sont celles où Poussin ne se plaint pas. Pas facile de se faire une opinion sur les maux exacts du peintre. Force est de constater que Poussin vivra jusqu’à soixante et onze ans, ce qui est exceptionnel pour l’époque, et que la maladie lui servira souvent de prétexte pour reculer ou refuser les échéances. Hypocondriaque, Poussin ? Même si l’on ne peut occulter ses problèmes de santé, le peintre en présente bel et bien tous les symptômes. Est-il vraiment malade en 1630 ? Les Barberini ne le lâchent pas d’un poil. Cassiano dal Pozzo se situe dans le triangle mécène, ami, espion qu’il est difficile de tracer. C’est l’éminence grise de l’autoritaire Mafféo Barberini. Font-ils pression sur Poussin pour s’attacher ses services pour un travail que l’histoire et les biographes n’ont pas retenu ? La maladie, comme elle le sera souvent, n’est-elle qu’un prétexte pour repousser l’échéance d’une dette à laquelle Poussin ne veut pas croire. ? Pense-t-il pouvoir ainsi échapper à Urbain VIII ? C’est une hypothèse qui se tient.

La deuxième est celle de la facilité avec laquelle lui, un laïc, qui plus est Protestant, va accéder à des documents extrêmement rares. Et pas n’importe lesquelles. Cassiano dal Pozzo lui ouvre les portes du museo Cartaceo, le musée de Papier, réputé et le cardinal Francesco Barberini, le neveu du pape, préfet du Saint-Office, lui autorise l’accès à celles très fermées du Vatican.

Pendant cinq ans, à la lueur de la bougie, accompagné de son beau-frère qui lui sert de secrétaire, Poussin travaille. A quoi ? Que recherche-t-il ? Impossible de l’établir. Bien sûr, on peut penser à la recherche de sujets. On fantasme souvent sur le contenu de certaines bibliothèques, mais, on peut être certain que pendant cinq années complètes, Poussin accède à des textes antiques. Connaissant parfaitement le latin et maîtrisant le grec, le peintre peut consulter des milliers d’ouvrages. Sa présence de Poussin y est avérée. Elle ne relève pas du fantasme, mais de la réalité. Il fait partie des très rares laïcs, d’origine protestante de surcroît, à avoir accédé à ces bibliothèques. C’est un privilège que l’on a du mal à concevoir, sauf si le fait de plancher sur des livres anciens relève d’un travail précis, d’une mission occulte définie par le pape.

On fantasme aussi beaucoup sur les sociétés secrètes. C’est pourtant entre ses recherches au cœur des bibliothèques vaticanes et sa rencontre, dans le cadre d’une société secrète, la société Angélique, avec Charles Créqui de Blanchefort, que se trouve une quatrième zone d'ombre après celle d’émissaire espion, ses maladies et celle des bibliothèques vaticanes. La rencontre avec Charles de Créqui de Blanquefort est tout aussi étrange.

Personnage énigmatique que Charles 1er Créqui de Blanchefort, duc de Lesdiguières, Pair et Maréchal de France, premier gentilhomme de la chambre du roi, chevalier des ordres du roi, conseiller du roi en ses conseils d’Etat et privés, prince de Poix. La liste des titres situe l’homme. C’est une famille illustre. Créqui renvoie au berceau de la famille, dans le Nord. L’aïeul, Gérard de Créqui aurait combattu en 1099 aux côtés de Godefroy de Bouillon lors de la première croisade à Jérusalem. Pour Blanchefort, c’est moins évident. Signalons simplement qu’il existe dans le Languedoc, à quinze kilomètres à vol d’oiseau de Puivert, les anciennes fondations du château de la famille de Blanchefort. Signalons surtout qu’à partir de 1609, Charles Créqui de Blanchefort devient le propriétaire du pays de Sault, juste au Sud de Puivert. Notons également que la croisade de 1209 est menée par des chevaliers essentiellement venus du Nord de la France. Si ce fait n’est pas établi, la promesse de terres nouvelles est suffisante pour concevoir qu’un de ses aïeuls soit venu dans le Languedoc pour combattre l’hérésie cathare. Charles de Créqui de Blanchefort descend-t-il de la rencontre de deux grandes familles, l’une du Nord, l’autre du Languedoc ? Rien ne s’oppose aujourd’hui à cette version. Les origines de Créqui de Blanchefort se situent peut-être à quinze kilomètres du lieu qui nous préoccupe : le château de Puivert.

Créqui de Blanchefort n’est pas n’importe qui. C’est un proche de Richelieu et de Louis XIII. Il participe aux affaires du royaume. Duelliste renommé, c’est aussi un amoureux des arts et des lettres. Homme de guerre reconnu, il s’illustre en Savoie et en Italie en tant que général des armées. Il est surtout immensément riche. Michel Lamy le décrit comme un personnage reçu dans les cours d’Europe mieux que le roi lui-même. « Le 16 juillet 1634, lorsqu’il alla rendre hommage au Duc de Toscane, il rutilait de diamants et de pierreries. Il reçut les honneurs les plus signalés et les plus affectueux accueils, qui parurent convenable à son altesse, non seulement dus à la grandeur de celui qu’il représentait, mais au mérite d’un si grand seigneur ». Charles Créqui de Blanchefort fait de l’ombre à Louis XIII. Les sources concernant ce personnage étant très limitées, il est dur de se faire une idée plus précise, mais comme souvent dans ce dossier, nous naviguons tout près des hautes sphères du royaume. Les motivations profondes de Créqui de Blanchefort restent inconnues. L’hypothèse la plus crédible, c’est qu’il a besoin de Poussin. Comme on le constate, le peintre est l’objet de toutes les attentions. Rien que du beau monde autour de lui.

La première rencontre entre Créqui de Blanchefort et Poussin se situe vraisemblablement vers 1633 ou 1634. Cette rencontre est incontestable. Créqui passe commande de deux toiles à Poussin. L’une pour lui, l’autre pour Richelieu. Si sa mission officielle est de venir solliciter vainement la dissolution du mariage de Gaston d’Orléans, elle est aussi, dans cette concurrence que se livrent Paris et Rome pour attirer les artistes, d’acquérir des œuvres. Sa rencontre avec Poussin, dont la gloire monte chaque année, n’a donc rien de surprenant en soi. Elle est d’autant moins surprenante que depuis 1630, Poussin peint de plus en plus pour des collectionneurs privés. Mais Créqui de Blanchefort révèle d’autres facettes : d’une part, il appartient à une loge secrète, la Société Angélique, dont l’objet réside essentiellement à la traduction de livres interdits. D’autre part, sa fortune apparaît sans limite. Enfin, son blason mérite une attention aprticulière : Certains y voient un créquier, une sorte de prunier, ce qui expliquerait par-là même le nom de la famille. C’est possible mais on peut aussi y voir de manière flagrante un chandelier à sept branches qui renvoie vers la Ménorah des Juifs. C’est ce que suggère Dom Plessis (description géographique et historique de la Haute-Normandie) en avançant que le mot créquier viendrait du teuton kerk qui signifie temple.

Que se passe-t-il entre les deux hommes ? Créqui de Blanchefort fournit-il une clé au peintre ? Impossible de le prouver. Entre son appartenance à la société Angélique, sa présence dans les coulisses du pouvoir, les différents héritages familiaux provenant des croisades, son inclinaison pour les livres anciens, la participation des ses aïeuls au génocide cathare, Créqui de Blanchefort a pu demander à Poussin de s’intéresser à des manuscrits ou lui faire des confidences. N’oublions pas que Poussin, à cette époque, travaille dans les bibliothèques pontificales. Si sa réputation de peintre est établie, celle de savant, grâce au soutien de l’érudit Cassino dal Pozzo, ne l’est pas moins. Créqui de Blanchefort a pu se tourner vers Poussin pour l’aider à traduire ou à comprendre des éléments qui ont disparu depuis. Quels peuvent être ces éléments ? Sans doute des écrits ayant échappé aux foudres de l’inquisition, des manuscrits que tous les autodafés de Rome n’ont pu détruire, en tous cas des documents auxquels Créqui de Blanchefort doit tenir comme à la prunelle de ses yeux.

Impossible de trouver une réponse. Il apparaît que Poussin réunit les conditions pour être dépositaire d’un secret, mais aucune preuve. En revanche, cette rencontre se situe trois ans avant les bergers.

Les sept années qui précèdent les bergers d’Arcadie sont les plus mystérieuses dans la vie de Poussin. Toute la vie du peintre, toutes ses correspondances, à part deux lettres sans intérêt majeur, sont postérieures à la date de 1639, date à laquelle il termine les bergers d’Arcadie. Toute la vie de poussin avant les bergers n’est que supposition. Les « poussinistes » avertis en conviennent. Dès lors, une question se pose : existe-t-il une relation de cause à effet entre ce gouffre et les bergers d’Arcadie ?

Une autre question qui se pose est celle de la venue de Poussin dans le Languedoc. En considérant qu’il a peint les Bergers en 1638 et rencontré Blanchefort en 1635, sa venue dans la région aurait inévitablement eu lieu entre les deux.

On peut parler d’une nouvelle coïncidence, mais aucune correspondance ou presque du peintre d’avant les bergers d’Arcadie n’a été retrouvée. Le Poussin d'avant 1638 n'existe pas. C’est ce qui explique la vision du vieillard qui se dégage généralement de Poussin. Bellori, le premier biographe de Poussin, qui l’a rencontré à partir des années cinquante, passe très rapidement sur la jeunesse de Poussin. Avec le temps, Poussin naît en 1639. Il a quarante cinq ans… Son passé n’a été véritablement reconstitué qu’à partir de 1639. Les bergers d'Arcadie, marquent donc une cassure dans la vie du peintre, une nouvelle vie. Tout ce qui leur est antérieur reste hypothèse. Tout ce qui vient après n’est que silence et discrétion…

Après avoir peint les bergers, la gloire du peintre est au plus haut. Le tableau, bien qu’il le conserve, a un succès retentissant. Son carnet de commande s’honore de comporter tous les plus grands noms d’Europe. S’attacher une toile du peintre, c’est engager plus trois mille livres or, somme colossale pour l’époque. Indiscutablement, il doit en grande partie sa carrière à Rome. Une nouvelle coïncidence troublante vient se greffer dans sa vie. Louis XIII et Richelieu l’invitent à Paris. Poussin refuse gentiment. Ils insistent. Poussin prétexte son épouse, sa santé chancelante et le voyage long et pénible pour repousser encore l’offre du roi. On lui promet pourtant monts et merveilles. Enfin, en 1639, un an après les bergers, Louis XIII lui ordonne de venir à Paris. Il ne s’agit plus d’une invitation, mais d’un ordre. Poussin est citoyen français. Il espère un temps que Urbain VIII le retienne à Rome, mais le pape ne bouge pas. Il doit rejoindre la cour de France. Fin novembre 1640, il quitte Rome et sa jeune épouse. Une chose est certaine : ce n’est pas de gaieté de cœur que Poussin gagne Paris qu’il a quittée seize ans auparavant. Il y est pourtant accueilli avec de nombreux honneurs. Quatre jours après son arrivée, il s’incline devant Richelieu. Trois jours plus tard, c’est au tour de Louis XIII de le recevoir. C’est l’épisode de la citation du roi : « C’est Vouet qui va être bien attrapé ». Trois mille livres de gages, le titre prestigieux de premier peintre ordinaire, peintre attaché à peindre pour le roi, on déroule le tapis rouge pour Poussin.

La renommée du peintre est telle qu’elle peut expliquer à elle seule toutes ces marques d’attention. Il se peut aussi que Richelieu ait eu d’autres motivations. Pourquoi obliger Poussin à revenir à Paris ? Les peintres de talent ne manquent pas non plus à Paris. Créqui de Blanchefort a-t-il pu à un moment donné ou à un autre faire des confidences au cardinal ? Lui a-t-il fait part de ses entretiens avec Poussin ? Rien ne permet aujourd’hui d’étayer cette hypothèse. Pourtant devant l’insistance, puis l’ordre donné à Poussin de venir à Paris, ce voyage à Paris est plein d’interrogations. L’autre élément troublant, la mort de Créqui de Blanchefort en 1638 sur un champ de bataille, incite à la prudence. Fait-il partie du faible contingent de généraux morts sur un champ de bataille ou a-t-il habilement été supprimé ?

Poussin déchante rapidement. Les commandes passées par le roi ne lui plaisent pas. La jalousie des autres peintres, les rumeurs, Poussin n’est pas à son aise à Paris. Il est stressé, apeuré. Cette situation perdure jusque fin 1642. C’est de pire en pire.  La cour gagne alors le Languedoc. Officiellement, il s’agit de vérifier sur le terrain les premiers acquis de la guerre engagée depuis 1635 contre l’Espagne. Poussin va profiter de cet éloignement et d’un coup du destin pour reprendre sa liberté. Le favori et l’amant de Louis XIII, Cinq Mars, est pris la main dans le sac à comploter avec l’ennemi. Contre la promesse d’un retour au ministre Sublet de Noyer qui le tient en amitié, Poussin obtient son visa. Trois mois plus tard, alors que Cinq Mars se prépare à être exécuté, le peintre boucle ses valises. Alors même que la joie devrait l’emporter, Poussin accomplit un acte capital : il rédige son testament. Ce fait est admis de tous.  Il rédige son testament. On peut s’interroger sur le pourquoi. Prend-il conscience qu’il a quarante-huit ans et qu’il rentre dans la vieillesse ? L’espérance de vie est alors, rappelons-le, d’environ quarante cinq ans. A-t-il peur de ce mois qu’il va passer sur la route pour retrouver Rome ? Ou bien encore, se sent-il menacé ? Cela peut expliquer la crainte que ressent Poussin à moins que ce ne soit le poids d’un secret qui n’est pas facile à assumer.

La fuite de Poussin fait grand bruit, mais l’exécution de Cinq Mars encore plus. A vingt ans le jeune arriviste faillit renverser l’histoire en se faisant aimer du vieux roi dépité. Le peintre retrouve son épouse, recommence à peindre, mais quelque chose change : Poussin devient insensible aux honneurs, il sort peu, mis à part une promenade quotidienne, reçoit peu dans sa petite maison de la via Paolina. Commence alors pour lui une nouvelle étape, la dernière de sa vie : l'isolement. Elle va durer un quart de siècle. De la gloire à l'humilité, ainsi se résume la vie de Poussin. Quelques semaines plus tard, Richelieu rend l’âme, non sans avoir fait de Mazarin son successeur désigné. Il est suivi de près par Louis XIII qui ne s’est pas remis de son chagrin d’amour. Mazarin a le champ libre. Le cas Poussin doit alors être le cadet de ses soucis. Le nouveau cardinal se lie avec Anne d’Autriche pour s’occuper des intérêts de son filleul, Louis XIV, qui n’a que quatre ans. Urbain VIII quitte également la scène. Son successeur, Innocent X ne montre aucun intérêt pour les arts. En quelques mois, les pressions qui s’exercent sur Poussin tombent. On imagine le soulagement. Ce retour à Rome fin 1642, mais au-delà les bergers d’Arcadie, peints quatre ans plus tôt, marquent une rupture dans la vie du peintre. Lui qui a tant voulu la gloire et la richesse va vivre désormais dans la discrétion et l’humilité. Les commandes de collectionneurs se multiplient. La renommée de Poussin est à son zénith. Poussin, lui, s’isole de plus en plus. Par besoin ou par peur ? Difficile de se faire une idée précise, mais les faits sont là : Poussin a rédigé son testament et se terre dans sa maison.

Dès son retour à Rome, la vie de Poussin bascule. Il devient insensible à la gloire et ne vise qu’à la discrétion… C’est une curieuse sensation de liberté qui plane autour de Poussin. Une liberté surveillée dans laquelle on sent la peur. Désormais, un seul mot dicte sa conduite : prudence. Cette prudence, ce retrait marquent toute la fin de vie de Poussin. Durant ce dernier quart de siècle, alors qu’il s’est battu pour être connu et reconnu, il n’aura de cesse de s’effacer. De la gloire à l’humilité, c’est le parcours du peintre.

Au milieu des aneées cinquante, Poussin habite toujours la petite maison coquette et commode qu’il a achetée vingt ans auparavant. La demeure se situe sur la paroisse de San Lorenzo in Lucina.

Poussin revient sur le devant de la scène à corps défendant. Il reçoit toujours fort peu. Parmi ses visiteurs, Pierre Mignard, peintre qui fera une brillante carrière, Paul Fréar de Chantelou, son ami et mécène, Colbert qui passe commande de toiles pour Mazarin et l’abbé Louis Fouquet, frère du très puissant surintendant aux finances, Nicolas Fouquet. La France revient vers Poussin.

Le cas de Nicolas Fouquet est un nouveau point d’interrogation dans la vie de Poussin. Surintendant aux finances, candidat affiché à la succession de Mazarin, membre très influent du très puissant Saint-Sacrement, concurrent aux ambitions de Colbert, Président du Parlement de Paris, seul organe habilité à faire des remontrances au roi. On imagine le pouvoir de cet homme. C’est le numéro trois de l’état. Il n’existe à ce jour aucun élément sur la rencontre physique entre les deux hommes. Ce qui est indéniable par contre, ce sont les contacts entre Louis Fouquet, le frère du ministre, et Poussin. Louis Fouquet est très officiellement mandaté par le son frère pour acheter des toiles. Ce fait est acquis. Les correspondances de Poussin montrent que les deux hommes semblent s’apprécier. Louis Fouquet ne tarit pas d’éloges sur le peintre et requiert son conseil le plus souvent possible. Au passage, il n’oublie jamais de rémunérer Poussin. Difficile de ne pas prendre Louis Fouquet au sérieux. Il est posé. L’importance que Nicolas Fouquet attache aux arts et aux lettres, le budget alloué, la cote de Poussin, suppose que son frère possède une certaine dimension. C’est aussi un homme d’église. On imagine une certaine éducation.

Le courrier qu’il adresse à son frère en avril 1656, disponible aux Archives de l’Art français, authentifié par les spécialistes, ne peut donc être taxé de farfelu ou de frelaté. Il émane du frère du Surintendant aux finances de Louis XIV. Le passage suivant mérite attention :

« Poussin et moi avons projeté certaines choses qui vous donneront par Poussin des avantages que les rois auraient grand peine à tirer de lui et qu’après lui peut-être personne au monde ne recouvrera jamais, dans les siècles à venir, et ce qui plus est, cela sans beaucoup de dépenses et pourrait même tourner à profit et ce sont des choses si fort à rechercher que quoi que ce soit sur la terre maintenant ne peut avoir meilleure fortune ni peut être égale ».

Largement commenté, ce courrier est plus que troublant. Il est inimaginable de prêter à Louis Fouquet l’intention de tromper son frère, qui est tout autant son protecteur. On ne peut pas non plus supposer, pour les mêmes raisons, mener son frère en bateau. N’oublions pas que nous nous situons ici en haut de la pyramide du pouvoir. En rédigeant ce courrier, nous pouvons être persuadés que Louis Fouquet pense ce qu’il écrit. Ce qu’il écrit est sans détour :

– Poussin détient un secret : « par Poussin »,

– Il semble coopératif : « avons projeté certaines choses »,

– Il est méfiant : « les rois auraient grand peine à tirer de lui »,

– Poussin est le seul, ou l’un des derniers à détenir ce secret : « après lui peut-être personne au monde ne recouvrera jamais dans les siècles à venir »,

– Ce secret n’implique pas des recherches colossales : « cela sans beaucoup de dépenses »,

– Cela peut rapporter gros : « pourrait même tourner à profit »,

– Cela peut même rapporter très gros puisque Louis Fouquet écrit très exactement que le secret de Poussin est ce qu’il y a de plus cher au monde. « Quoi que ce soit sur la terre ne peut avoir meilleure fortune ni peut être égale ».

Il ne s’agit plus d’un hasard ou d’une coïncidence. La lettre de Louis Fouquet ne peut être balayée d’un simple revers de manche. Elle est authentifiée. Aucune contestation n’existe sur sa validité. Or cette lettre affirme que non seulement Poussin détient un secret, mais qu’en plus, ce secret s’avère être le plus grand trésor de tous les temps. Emanant du commun des mortels, on pourrait croire à un canular. Venant de Louis Fouquet, dans le contexte politique d’une opposition constante entre Mazarin et Colbert d’un côté et Nicolas Fouquet de l’autre, cette lettre est capitale. Elle a le mérite d’être un élément identifié et authentifié qui accrédite la thèse selon laquelle Poussin détenait bel et bien un secret.

Le fil des Fouquet est intéressant à suivre. Trois plus tard, Fouquet fait nommer un autre de ses frères, François, comme évêque à Narbonne, dans le Languedoc. Cette nomination pourrait apparaître anecdotique si le Languedoc n’avait pas une telle importance dans ce dossier. Quelle meilleure place, à une période où l’inquisition est encore omniprésente, que celle d’évêque, pour surveiller de près une région. C’est une pièce importante dans la partie d’échecs engagée par Nicolas Fouquet pour prendre le dessus sur Mazarin et Colbert et s’emparer du secret de Poussin.

En 1661, tout bascule pour Fouquet. Après la mort de Mazarin, une des premières décisions de Louis XIV est d’arrêter Fouquet. Officiellement, on a souvent prétexté le luxe déployé lors de la réception à Vaux, une des résidences favorites de Fouquet, pour expliquer la décision de Louis XIV. C’est mésestimer le roi. Il y a une autre raison. De toute évidence, Mazarin a savonné la planche avant de mourir. Les ultimes propos du cardinal sont ceux d’une extrême prudence vis-à-vis de Fouquet. « Il faut le suivre de très, très près. » De très près… En l’enfermant ? Décision simple et efficace comme sait en prendre Louis XIV. Durant son long règne, le pragmatisme de Louis XIV fait merveille. Il coupe les branches pourries ou gênantes, sans état d’âme. Elément troublant : le duc de Créqui, le fils de Charles de Créqui de Blanchefort et ami de Fouquet, l’avait averti des risques qu’il courait ! Une nouvelle fois, le nom de Blanchefort revient au devant de la scène. Encore une coïncidence. Fouquet se défend comme un beau diable, sans se départir pour autant d’un calme olympien qui trouble ses contradicteurs. Il a une mémoire quasi infaillible.

Louis XIV veut sa tête. Il choisit en personne les membres du jury chargés de juger Fouquet, dépouille lui-même l’ensemble des documents saisis chez le surintendant. Que cherche-t-il ? Les preuves des malversations de Fouquet ? Depuis des années, Colbert se charge de les accumuler. Non, il cherche autre chose : des éléments sur ce qui nous intéresse ici : le secret de Poussin. Les pressions du Saint-Sacrement font qu’après un procès retentissant Fouquet est enfermé dans le plus complet isolement dans la forteresse de Pignerol qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, vingt ans plus tard. Dans cette forteresse, ils sont peu nombreux. Une petite dizaine. Parmi eux, Fouquet bien sûr, et un homme que Voltaire identifie comme étant Eustache Danger, qui aurait servi dans l’entourage du surintendant. Ce dernier serait même ce fameux masque de fer qui a inspiré Dumas. Cette image de masque, cette forteresse hautement gardée pour si peu de prisonniers, c’est le silence que veut instaurer Louis XIV autour de cette affaire. On peut comprendre l’emprisonnement de Fouquet par sa stature, mais pourquoi conserver en vie un homme qui n’a ni rang, ni fortune ?

Aucune certitude sur ce passage. Ce que l’on peut avancer, c’est qu’Eustache Danger, sur les ordres de Mazarin s’est introduit dans l’entourage de Fouquet pour le surveiller. S’est-il emparé de la lettre de l’abbé pour la transmettre à son supérieur qui lui-même, avant de mourir, s’en est ouvert à Louis XIV ? Nous sommes au niveau du secret d’état. Cette hypothèse est plausible. L’absolutisme dans lequel il a été éduqué, la teneur du message remettant en cause sa puissance et indiquant un trésor expliquent sa réaction. Hors du roi soleil, point de salut. Louis XIV arrête Fouquet, garde Danger sous la main et envoie Colbert auprès de Poussin pour négocier une révélation. Au plus haut niveau de l'état, Poussin apparaît comme l'enjeu du pouvoir.

Le plus extraordinaire, c’est que pendant son procès, Fouquet parvient à retourner les juges, pourtant ouvertement hostiles à la base au surintendant. Il sauve sa tête et est condamné au bannissement. Louis XIV intervient. Il change la sentence. On n’est pas roi soleil pour rien. Louis XIV et Colbert démontrent un tel acharnement vis-à-vis de Fouquet que cela en devient suspect. Quitte à inverser le jugement, pourquoi ne pas avoir exécuté Fouquet ? Parce qu’il avait peut-être encore des choses à dire et qu’en l’éliminant Louis XIV perdait toute chance de savoir le secret de Poussin ?

Plus incroyable encore, c’est à cette même époque que Louis XIV commence à racheter des toiles de Poussin sur le marché. C’est également à cette époque que Colbert recrutent des mineurs suédois pour fouiller les mines dans le Languedoc, spécialement sur les terres des Blanchefort. Hasard ? Coïncidence ? Peut-être, mais en 1662, alors qu’il effectue ces recherches, Colbert a également à ses côtés le duc Créqui de Blanchefort, un ami intime de Fouquet. Il n’y a ni hasard, ni coïncidence. Au cœur de l’Etat, le secret de Poussin déclenche toutes les convoitises, toutes les hargnes, toutes les haines. Tous les moyens sont bons pour s’en emparer. Fouquet est éliminé aussi sûrement que Colbert essaie d’amadouer le peintre sous la houppe de Louis XIV. Les dates, les lieux, tout s’assemble parfaitement. C’est une histoire parallèle qui s'écrit, un de ces couloirs secrets du pouvoir qui s'ouvre devant nous.

Poussin meurt en 1665, trois ans après son épouse, à soixante et onze ans, ce qui, pour l’époque, est énorme, l’espérance de vie se situant alors à quarante cinq. Sa gloire est immense. Il a côtoyé tous les grands, artistiquement, scientifiquement et politiquement. Rubens, Galilée, Louis XIII, Richelieu, Mazarin, Colbert, il a connu tous les honneurs possibles. Il est célébré comme l’un des plus grands peintres du siècle. L’image qu’il laisse est celle du peintre savant sur lequel les chercheurs devisent encore aujourd’hui. Son héritage est très loin d’être celui d’un prince, même s’il laisse les siens à l’abri du besoin.

Une rumeur persistante commence à imprégner les esprits alors que les jours du peintre sont comptés. Poussin a vu mourir nombre de ses médecins. Toujours malade, toujours en vie…

La spéculation sur ses toiles est telle que Poussin devient pour les critiques l'un des plus grands peintres du siècle, mais aussi la cible privilégiée des faussaires. Dans un dernier testament rédigé quelques jours avant sa mort, outre certains legs à des proches, il laisse tout à son petit-neveu Le Tellier, descendant de sa demi-sœur, pour lequel il n’a pourtant pas d’affinités. Aucune disposition concernant les bergers d’Arcadie… Il livre la toile au hasard. Il ne fait aucun don à Rome, pas plus qu’il ne réclame de messe… Poussin s’en va comme il a vécu : avec discrétion.

Les prix flambent autour de Poussin. La demande est forte. Les Français le revendiquent comme un génie national. Le peintre a passé ses quarante dernières années à Rome. Cela n’a guère d’importance. Par différents intermédiaires, Louis XIV ramasse à grands frais et à grandes peines les œuvres du maître. Il cherche à s’emparer à tout prix des tableaux du peintre. Les prix s’envolent. L'Esther devant Assueru atteint vingt mille livres. La collection royale que Louis XIV amasse au Louvre s’enrichit de nombreuses toiles de Poussin. Certaines sont difficiles à authentifier. Le génie concentre autour de son œuvre une multitude d’interprètes soucieux d’entrer dans sa pensée. Poussin est reconnu comme un être exceptionnel, un des plus illustres, le maître incontesté du classicisme, considéré comme faisant partie des dix plus grands peintres que le monde ait connus. Il rejoint Raphaël, De Vinci, le Titien…

Poussin baigne dans le mystère. Son sceau, ses devises invitent au secret. Mais la roue tourne. La vie de Poussin devient pénible. Il n’écrit pratiquement plus. Dessiner lui demande des efforts considérables. Poussin décline aussi l’offre très prestigieuse de devenir prince de l’Académie de Saint-Luc. Il se concentre sur ce pinceau qu’il veut encore tenir, mais sur lequel il a moins d’emprise. Sa main le trahit. Il n’est plus debout devant son chevalet. Il préfère s’asseoir… Son entourage est décimé. Cassiano dal Pozzo s’éteint en 1657, bientôt rejoint par Jacques Stella, un de ses amis proches. Son épouse les suit quelques années plus tard. Poussin sent sa fin prochaine. Il souffre. Rhumes, bronchites, battements de pouls, débilités de l’estomac… Les incommodités de la vie se multiplient. Urines sanguinolentes, incontinence complète, abcès, en novembre 1665, à l’heure de midi, Poussin finit par rendre l’âme. Au-dessus de son lit, les bergers d’Arcadie ! Vraisemblablement la seule œuvre personnelle du peintre.

 Poussin est au cœur d’un secret qui semble l’enjeu de tous les pouvoirs. Immuablement, ce secret nous emmène vers le Languedoc. Au-delà des biographies consensuelles autour du peintre, il apparaît nettement que les zones d’ombre dans la vie du peintre n’ont jamais été étudiées de près. Jusqu’ici, aucune preuve matérielle, mis à part la lettre de Louis Fouquet, n’a été apportée pour prouver que Poussin détenait un secret. Néanmoins, les présomptions sont suffisamment nombreuses pour envisager qu’il ait effectivement pu en détenir un. Quelles sont ces présomptions ?

     La vie de Nicolas Poussin reste, même pour les « poussinistes » officiels, largement méconnue.

     Il est impossible de définir avec exactitude son intermédiation entre la cour de France et le Vatican.

     La facilité avec laquelle il accède aux bibliothèques les plus fermées est troublante pour un laïc et un Protestant.

     Quelle est la signification de ses rencontres avec Charles de Créqui de Blanchefort et, au-delà, avec les sociétés secrètes et les livres interdits ?

     1638, date à laquelle Poussin peint les bergers d'Arcadie, marque une cassure dans la vie du peintre. La course à la gloire se transforme en humilité discrète. Hasard ?

     Pourquoi Poussin éprouve-t-il le besoin de rédiger son testament lors de sa fuite de Paris ?

     La lettre de l'abbé Louis Fouquet n'est-elle pas en soi une preuve incontestable ?


A cette liste, on peut rajouter :

Les pressions de Colbert,

La spéculation après sa mort engendrée par Louis XIV en personne qui rachète en personne toutes les œuvres de Poussin disponible sur le marché. C’est ainsi que les bergers d’Arcadie rejoindront les collections royales à partir de 1685. Ces constatations et ces interrogations vont à l’encontre du peintre vieillot et fermé qui se dégage de la majeure partie des biographies consacrées au peintre. Elles laissent entrevoir une face cachée. Cette face cachée est appuyée par le caractère discret, pour ne pas dire secret de Poussin à partir de 1638.

Que penser de son sceau représentant un homme tenant une barque dans sa main ? Que penser également de sa devise « Tenet confidentiam », « Il détient le secret » ou « il est dans la confidence ».

Que penser, enfin du cryptogramme de la tombe de la marquise de Blanquefort, morte à Rennes le château un siècle et demi plus tard, spécifiant que Poussin garde le secret ? Poussin n’a jamais dit ou écrit qu’il détenait un secret. La lettre de l’abbé Louis Fouquet prouve de manière indubitable qu’il a pu ou voulu laisser transpirer quelque chose. La devise nous confirme cet aspect des choses, comme ces phrases sibyllines lâchées par Poussin : « Je n'ai rien négligé », « Lisez l’histoire et le tableau pour voir si l’histoire et les choses sont appropriées au sujet. » Enigmatique Poussin ? A n’en pas douter. Détenteur d’un secret ? Il existe de bonnes probabilités pour répondre affirmativement à la question initiale : oui, Nicolas Poussin détenait un secret.

La question est maintenant de savoir s’il a effectivement mis ce secret dans ce tableau.

Si Poussin détenait un secret, que les bergers d’Arcadie réunissent les conditions suffisantes et nécessaires pour être le réceptacle du secret, rien ne prouve qu’ils le sont effectivement.

De même rien ne prouve non plus que ces bergers nous mènent de manière formelle à Puivert. Si nous avons de bonnes raisons de penser que Poussin détenait un secret, il reste à Gueccours à nous démontrer ses dires. Il s’agit de répondre à une deuxième question : le secret de Poussin est-il celui de Puivert ? En d’autres termes, les bergers d’Arcadie nous conduisent-ils à Puivert ?

Nous avons beaucoup parlé de l’homme, mais qui était le peintre ?

La technique employée par Poussin n’a que très peu évolué dans sa carrière. Il a un principe fondamental qui est de s’occuper de tout de l’idée de la toile à son envoi, en passant par le vernissage et le cadre. Trois étapes ressortent clairement. Il y a d’abord l’idée de la peinture, le « concetto », la pensée de l’œuvre. Il y a ensuite la phase croquis qui matérialise le « concetto ». Enfin Poussin attaque directement sa toile en prédisposant d’abord les paysages et en intégrant les personnages.

Aucune raison de penser qu’il en soit autrement pour les bergers d’Arcadie. S’il s’agit réellement du chef-d’œuvre du peintre, on imagine même une période d’une à deux années pour concevoir le code qui ne s’ouvrira qu’à l’initié. Aucune raison de penser que Poussin rejette ce qui lui est cher, à savoir l’importance de la perspective, le peu d’utilisation des couleurs, l’importance de la ligne.

Ces critères se retrouvent parfaitement bien quand on examine la toile. Perspective entre premier et second plan, couleurs sobres. Pour la ligne, cela est moins évident. Beaucoup d’angles, d’arrondis, mais rien de probant pour un profane.

Cette toile a été examinée sous toutes les coutures. Déjà Louis XIV, dans ses appartements privés de Versailles est très attentif. Depuis, une multitude d’interprétations ont vu le jour. Certains voient dans la disposition de la toile un lien avec le céleste. En considérant le personnage à genou comme Hercule, la femme comme la vierge, en retraçant un cadre approprié, Poussin indiquerait un endroit précis dans les cieux, une sorte de passage vers autre chose. Rien de tangible ne sort.

D’autres hypothèses sont beaucoup plus terre à terre. Par de savants calculs, des angles variés, des combinaisons où l’on s’y perd, l’école anglaise s’évertue à rechercher un endroit précis en avançant que Poussin, ce qui semble avéré, est un adepte des thèses copernicienne et pythagoricienne. Hasard ou coïncidence, ces recherches sont exclusivement axées dans le Languedoc. Là encore, beaucoup d’énergie dans la démonstration, mais rien de concret sur le terrain. C’est la même analyse pour ceux qui croient voir dans tel ou tel paysage naturel le même que dans la toile. Des points communs parfois, une certaine ressemblance, mais absolument rien de formel.

La toile a enfin été grattée, radiographiée, carbonisée 14. Rien. Il faut être clair. Jusqu’à ce jour, personne n’a pu apporter la preuve incontestable de la signification du tableau. Sur ce plan, la technique étant arrivée au plus haut, on ne trouvera plus rien. Si cette toile garde un message, elle le garde bien.

Rien ne permet donc d’affirmer que la toile est codée. Par contre, ce qui certain, compte tenu du contexte de la Sainte Inquisition et du bûcher, encore une fois, c’est que la prudence a dû s’imposer à Poussin. Comment ne pas le comprendre quand on sait qu’à ses côtés, dans la sphère des Barberini, il a vu l’acharnement aveugle se déchaîner contre le savant. Pour déjouer les interdits, l’énigme s’est imposée très naturellement.

Prenons maintenant ce premier calque. Rappelons-nous : le château s’appelle aussi la barque de pierres, la proue tournée plein ouest et la poupe vers l’est. Si nous prenons ce calque schématique nous avons un bateau et son mât avec une petite dunette arrière.

Voyons la toile. Essayons là encore, en pensant à un trompe-l’oeil, de replacer notre calque

Comme ceci. Ce qui nous donne…

Indiscutablement, un bateau se dessine. Le trompe-l’œil de Poussin fonctionne à merveille. Ce que nous avons sous les yeux est bien un bateau. Son orientation est aussi certaine. L’avant indique la droite du tableau, le coté sombre, le couchant, l’Ouest. L’arrière, l’est, la partie gauche. Comme à partir de la tour de Puivert…

 Pour Honoré Gueccours Puivert serait l’endroit désigné par la carte. Après tout, pourquoi pas. Comme de nombreuses autres hypothèses, il nous conduit dans le Languedoc, à un château reconnu comme la capitale des troubadours et qui se singularise des autres constructions par de faibles défenses. Cela en fait-il un coffre ? Certainement pas.

Rendons-nous directement au château et montons sur la terrasse tout en haut de la tour de Puivert qui culmine à 35m de hauteur. Nous prenons position au centre de la terrasse carrée de quinze mètres de côté.

Prenons un peu de recul pour fixer le cadre des éléments. Jusqu’à présent, le dossier de Gueccours tient la route. Les éléments présentés sont vérifiables, les interprétations retenues tout à fait plausibles. Il faut maintenant apporter la preuve que c’est à cet endroit précis que les bergers d’Arcadie et le château de Puivert ne font qu’un.

Notre vision est identique à celle de Poussin a pu avoir. Seule la disposition du village en bas et les murailles du château ont subi les aléas du temps et peuvent présenter des différences. Pour le paysage, rien n’a changé. Rien ne change non plus dans les moyens utilisés pour regarder. Poussin l’hypocondriaque ne s’est jamais plaint des yeux. On peut donc supposer qu’il voit parfaitement. L’utilisation d’une jumelle n’est pas anachronique. Non seulement le peintre peut disposer d’une longue vue pour observer le paysage à partir de la tour, mais on peut supposer que cette longue vue est le nec plus ultra pour l’époque. Et pour cause : les observations de Galilée, remettant en cause les thèses d’Aristote pour confirmer celles de Copernic bouleversent Rome. En deux décennies Galilée est parvenu à mettre au point le premier télescope. Il révolutionne les moyens d’observation. Qui peut le plus peut le moins. Les travaux de Galilée permettent à Poussin de disposer d’une longue-vue. Ces précisions sont importantes. C’est à partir de ce point précis de la tour, qu’en 1637, Poussin aurait fait, des dizaines de croquis du paysage. Et pour cause : si les bergers d’Arcadie nous conduisent à ce point central précis de la tour de Puivert, cela signifie immanquablement que Poussin est venu à cet endroit. Entre l’observation qu’il a pu en faire et celle que l’on peut faire aujourd’hui, il n’y a aucune différence, aucune altération. Les sources sont identiques. De même, les conditions d’observation sont les mêmes : vue, jumelle, soleil au zénith.

Nous sommes à trente-cinq mètres de hauteur, la vue est splendide. Faisons un rapide 360° en partant du sud vers le nord en passant par l’est. Au sud, une cuvette qui abritait l’ancien lac et le pays de Sault qui préfigure les Pyrénées. A l’est, des collines et une succession de massif, dont le « nez » cassé de Bugarah qui se dessine nettement dans le lointain. C’est le point culminant du département. Au nord, la vallée du Blau qui conduit jusqu’à Chalabre puis Mirepoix. Enfin, à l’ouest, Montségur qui se profile derrière la tête de l’homme mort. Nous nous faisons confirmer par Michel Mignard les différents paysages observés.

Venons en maintenant à l’argumentation de notre chercheur.

Nous nous tournons d’abord vers l’est. C’est là que commence la lumière du jour, c’est là que nous commençons notre approche en regardant dans le lointain ce pic qui culmine à 1231m : Bugarach. Il est à vingt cinq kilomètres à vol d’oiseau. Le pic est facilement reconnaissable par son profil de nez cassé.

Plusieurs publications font références au nez de Bugarach. On imagine assez facilement une tête allongée avec un front qui se dessine, le nez, la bouche…

En tournant la toile d’un quart de tour vers la droite, la tête se dessine mieux. En prenant une loupe, on distingue une sorte de visage triste Suivons le visage proposé par Honoré Gueccours. Le front, le nez, la bouche… A première vue, cela semble peu évident. Gueccours relie pourtant les deux.

Revenons maintenant au tableau pour nous intéresser à la partie gauche c’est-à-dire, pour suivre la lumière, à l’est. C’est également une tête allongée que Gueccours nous propose.

Poussin a-t-il voulu signifier un profil avec un nez prononcé ? En rapprochant une photo de Bugarach prise du centre de la tour et la toile, l’idée d’une similitude semble possible. Ce n’est cependant pas l’apothéose. Si l’hypothèse de Gueccours repose sur ce genre d’élément, nous sommes loin des preuves recherchées… Le nez de Bugarach est-il celui de la toile ? La cassure que l’on constate dans la nature est bien plus prononcée que celle de la toile, mais l’idée du nez y est quand on s’imprègne de la ligne. Poussin, qui est un spécialiste de la ligne, a-t-il voulu signifier un profil ? Il y a quelque chose, mais cela reste bien léger.

Ce qui est par contre certain, c’est que le paysage de gauche se situe dans le la lumière, le levant, l’est. Bugarach est également à l’est de Puivert. Géographiquement parlant, rien à redire. La carte parle d’elle-même. Nous sommes bien dans le même axe. Voyons le second élément proposé par Gueccours.

C’est un calque. Repensez à notre jeu et dites-moi à quoi cela vous fait-il penser ? Oui, une tête de chien. Mais quel rapport avec la toile ?

Gueccours nous propose de retrouver une tête de chien en trompe l’œil. A première vue, là encore, rien de probant. Le jeu consiste à replacer le calque sur la toile…

Il y a bien une tête de chien, mais quel rapport avec Puivert ? A une cinquantaine de kilomètres au sud est du château, le mont Canigou culmine à plus de deux mille mètres d’altitude. Il est là, juste derrière, immense. Canigou en langue d’Oc, canis en latin, chien en français.

Le raisonnement se suit. Indéniablement, la tête de chien est là. Elle se dessine nettement. On ne voit plus qu’elle. C’est incontestable. L’effet de trompe l’œil est saisissant. Il renvoie à différents sentiments. L’admiration quand on voit la dextérité du peintre à intégrer cette tête de chien. Malaise, car le sentiment d’être berné est latent. Une nouvelle lecture de la toile se dessine. On a une lecture de la toile et il en existe une autre. Amusement enfin, car la toile devient une devinette qu’il faut déchiffrer.

La tête de chien est présente dans la toile. La tête de chien peut renvoyer au mon Canigou. En comparant la position de la tête de chien dans la peinture et la position du mont Canigou par rapport à la tour, cela colle encore.

Pourtant, si l’argumentation tient, elle ne convainc pas. Le paysage de gauche peut être Bugarach comme la tête de chien peut signifier le mont Canigou. Cela reste insuffisant pour avancer avec conviction que la toile renvoie immanquablement à Puivert.

Regagnons le haut de notre tour et suivons la progression de Honoré Gueccours. Nous faisons quatre-vingt-quinze degrés toujours dans la même direction.

En face, à quatre kilomètres, de grands pitons de pierres se dressent vers le ciel : les roches Blanches. L’origine du nom n’est pas certaine. Toujours cette dame Blanche qui aurait asséché le lac ? De l’autre côté de l’ancien lac, comme le dit Jean Tisseyre, « des masses de calcaire effilées dressées vers le ciel et déchiquetées. »

Elles font penser à des dents, des canines. Nous passons de six cents à plus de mille mètres d’altitude Quatre stalagmites surplombant la plaine à quatre kilomètres du château.

Si nous reprenons la toile, dans la partie droite du tableau, derrière le tombeau, Poussin a peint quatre arbres facilement identifiables car ils sont complètement dénudés. Comme dans la réalité, ils se lancent vers le ciel. Poussin a voulu indiquer les roches Blanches ? Ce rapprochement avec ces arbres dénudés derrière le tombeau est plausible. La vision que l’on a de la tour va de ce sens. Bugarach, la tête de chien, les roches Blanches.

Tout se tient encore, tant dans la toile que dans la réalité. A quelques degrés près, tout est correct. Cela reste pourtant encore insuffisant. C’est trop beau pour être vrai. On a du mal à y croire. Si Poussin a un secret, rien n’est encore suffisamment solide pour prétendre que les bergers conduisent à Puivert. Continuons l’argumentation.

Dans le quatrième élément proposé, Nous nous tournons plein ouest. Honoré Gueccours prétend que le paysage de droite du tableau est le même que celui que l’on peut observer de la tour.

Voyons ce paysage, exécutons un calque, celui de la photo prise de Puivert… Exécutons un deuxième calque de la ligne du paysage droit de la toile.

Mettons-les à l’échelle et rapprochons-les. Aucun doute possible. Il s’agit de la même courbe, le même relief. Le paysage de la toile correspond très exactement au paysage à partir de la tour. La ligne du relief de la peinture est identique à la ligne tête de l’homme mort/Montségur. C’est indiscutable. Cet élément est de taille. Vient immédiatement la question suivante : quelle probabilité y-a-t-il pour peindre de manière imaginaire un paysage existant réellement ? Pour imager, nous nous mettons devant une feuille de papier, traçons une ligne imaginaire. Quelle chance y-a-t-il pour que cette ligne existe réellement ? Assurément, la probabilité est insignifiante. Elle devient carrément nulle si l’on considère que cette ligne existe et qu’en plus on arrive à l’identifier. Les deux calques s’alignent parfaitement. C’est une certitude. Il ne s’agit pas de dire qu’un paysage de la nature ressemble vaguement à celui des bergers. Il ne s’agit pas d’un trompe-l’œil. En comparant ce que nous avons sous les yeux à ce que nous observons sur la toile, c’est strictement identique. Il s’agit de la certitude que le paysage droit du tableau est le même que le paysage ouest observé à partir de la tour de Puivert.

Autre certitude : le paysage droit du tableau est sombre alors que le gauche est clair. L’indication est claire : on passe de la lumière aux ténèbres, du levant au couchant, de l’Est à l’Ouest. Exactement comme à partir de la tour.

Ce quatrième indice mérite de l’attention. Sans aucun doute possible, les deux lignes sont identiques. Il s’agit bien du même paysage. Sans aucun autre doute, l’orientation, vers l’ouest est également identique. Est-ce un hasard ? Peut-on admettre la coïncidence ? Peut-on l’admettre quand on sait que rien ne s’oppose à ce que Poussin soit venu dans le Languedoc; que Poussin est un spécialiste du croquis ; un paysagiste réputé, qu’il attache une importance capitale à la ligne ; qu’il a pu, de surcroît bénéficier du perfectionnement de la lunette réalisée par son ami Galilée. Le paysage d’il y a trois siècles est le même qu’aujourd’hui. Poussin a choisi un repère intemporel pour sa toile. Seul un tremblement de terre conséquent peut modifier le décor.

Depuis le début, les indices sont sérieux mais pas avérés. Il ne s’agit que d’interprétations. Ce dernier élément change la donne. En fonction de la probabilité quasiment nulle de pouvoir peindre de manière imaginaire un paysage existant réellement l’hypothèse de Gueccours prend une autre dimension. Ce calque, cette vision de Montségur que l’on a du haut de la tour de Puivert est une preuve en soi. Poussin vient à Puivert. Il croque le paysage sous tous les angles. Une fois revenu à Rome, il s’en inspire pour concevoir sa carte. L’hypothèse est alléchante. Elle l’est d’autant plus que Poussin a la réputation de se servir uniquement de paysages romains pour ses peintures. Le paysage croqué par Poussin à Puivert est l’exception qui confirme la règle. Le piège tendu par l’artiste a bien fonctionné, enfermant les « officiels » dans une version édulcorée qui ne prend pas en compte la face cachée du peintre.

A l’ouest, c’est Montségur et la tête de l’Homme mort. Un peu vers le sud, les roches Blanches et les arbres se marient parfaitement. Le mont Canigou représenté par la tête de chien, le pic de Bugarach… Le malaise grandit. Se peut-il que plus de trois siècles après le peintre, l’on refasse le même chemin, l’on découvre le même paysage, au même endroit ?

Le doute faisant partie de la nature humaine, restons encore circonspect devant ces révélations. La vision panoramique ouest à partir de la tour est pourtant édifiante. Cela se tient. Le plus incroyable, c’est qu’il apparaît que Poussin a respecté la perspective. Les éléments s’enchaînent dans la toile comme dans la réalité. Force est de reconnaître que l’hypothèse colle parfaitement. Est-ce suffisant pour affirmer que les bergers mènent à Puivert ? Oui, si l’on considère qu’il n’y a aucune chance pour reproduire de manière aléatoire un paysage. La reproduction très exacte des profils de la tête de l’homme mort et de Montségur dans la toile est alors une preuve en soi. Non, car cela paraît incroyable. Comment Honoré Gueccours a pu réussir là où les autres ont échoué ? Le doute subsiste.

Il est certain que la vue proposée à partir de Puivert se calque bien dans l’hypothèse formulée. Il se dessine un axe Est-Ouest conforme à la réalité. Pour s’en rendre compte, faire comme saint Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, une visite sur place s’impose. C’est à cet endroit précis, du haut de la tour de Puivert, que l’on mesure combien l’hypothèse est percutante. Le décor parle de lui-même. Personne ne pourra l’enlever. On ne prévoit aucun tremblement de terre, le château est classé monument historique et il n’y a aucune raison de penser à une quelconque fermeture.

Si l’on peut accepter l’axe Est-Ouest de Bugarach à Montségur à partir de Puivert, il manque pourtant l’essentiel : le château lui-même. Qu’est-ce qui indique que Poussin nous conduise précisément à Puivert ? Gueccours apporte une réponse par la mise en relief du cinquième élément : le château de Puivert.

Très précisément, chaque élément proposé Gueccours prend sa place dans la réalité et dans la toile.

Le plus extraordinaire, c’est que Poussin respecte très précisément des éléments.

Si nous n’avons pu apporter la preuve formelle que Poussin détenait un secret, en revanche, c’est avec certitude que nous pouvons dire que les bergers d’Arcadie mènent à Puivert. Devant cette certitude, pourtant, existe-t-il des faits qui peuvent confirmer Puivert comme le dépositaire d’un trésor.

Oui, car, quand on prend du recul, que l’on observe bien, tous les chemins mènent à Puivert.

N’oublions pas que Puivert est la capitale des troubadours, le lieu privilégié où ces lettrés échangent un autre que celui diffusé par Rome. Ce qualificatif est admis de tous les historiens. Puivert est la capitale des troubadours. Peut-on imaginer que Puivert soit aussi au centre du système de défense du Languedoc, le cœur du secret à protéger ?

Autour de Puivert, 33 châteaux et 10 villes fortifiées. Aucune explication rationnelle n’est donnée quant à la construction de ces défenses.

Certains historiens avancent que ces châteaux sont une ligne Maginot contre l’Espagne au même titre que le mur d’Adrien ou le mur de l’atlantique de Rommel.

En théorie, cette hypothèse est séduisante. En pratique, elle est indéfendable. Existe-t-il un général assez sot pour concevoir une défense où il concentre ses troupes sur moins de cent kilomètres, laissant libre les 300 restants ? Existe-t-il un stratège assez fou pour délaisser les plaines des bords de mer pour boucher un passage unique où des armées se déplacent difficilement ?

Par contre, si nous prenons Puivert comme LE secret à défendre, la construction des fortifications et l’emplacement des garnisons prennent tout son sens.

Posons-nous la question : d’où peut venir l’agression. Du sud ? Impossible. Non seulement la barrière des Pyrénées est largement dissuasive, mais surtout, les familles du Kercorb et d’Aragon sont liées par le sang. Devant la montée des périls, Trencavel cède Puivert à Pierre II d’Aragon. Des plaines d’Aquitaine et de la vallée du Rhône ? Des lignes de défense se dessinent clairement. De la mer ? Précisément, toutes les principales fortifications sont concentrées à l’est de Puivert, entre la Méditerranée et le château. Non seulement Puivert est la capitale occitane, mais le château se situe au centre du système défensif. C’est exactement le cœur. Hasard ? Coïncidence ? Difficile de l’admettre une nouvelle fois, surtout si l’on considère Puivert comme un secret absolu.

La défense par mer. Puivert capitale, Puivert au cœur du système défensif, mais Puivert également centre d’intérêt des puissants. Tous les puissants mènent à Puivert.

Entre Alaric qui pille Rome pour venir ensuite s’emparer du Languedoc, Clovis qui renonce à conquérir sans motif cette région, Charlemagne qui s’embourbe dans les Pyrénées, la liste est longue des rois voulant assurer une main mise sur cette région. Nous avons également vu comment Louis XIV, en chargeant Colbert de fouiller les galeries du Languedoc, cherche quelque chose.

Plus près de nous, deux exemples peuvent encore être cités. Le premier est celui de Napoléon. On peut déjà se demander comment un soldat inconnu arrive à se faire proclamer empereur en moins de quatre ans, qui plus est après avoir subi un cuisant revers dans une expédition d’Egypte elle-même incompréhensive sur un plan stratégique. Demandons-nous ici pourquoi, une de ses premières décisions politiques dès sa prise de pouvoir est de s’intéresser, via son éminence grise, Berthollet, au Languedoc. Comme Colbert, Berthollet, nommé gouverneur de la province, prenant prétexte d’établir une carte hydrographique des lieux, fouille les galeries. Passionné d’Egyptologie, Napoléon est également à l’affût des découvertes éventuelles de Berthollet. Hasard, coïncidence, ou Napoléon est-il sur la trace de Puivert ?

C’est exactement le même schéma pour le petit peintre qui s’empare du pouvoir en Allemagne. Dès 1933, Hitler envoie sur place un espion d’élite trié sur le volet : Otto Rahn. Rahn entreprend également des fouilles sur Place. Il en ressort un curieux livre dans lequel Otto Rahn essaie de démontrer que le trésor tant recherché se situe à Montségur. Hasard, coïncidence ou Hitler est-il sur la piste de Puivert ?

Mais les anonymes mènent aussi à Puivert.  Est-ce un nouveau hasard quand Michel Mignard rachète le château en 1995. Michel Mignard qui descend directement du peintre Pierre Mignard qui rencontre Poussin au milieu des années 1650 ?

Est-ce une nouvelle coïncidence si le mystère qui entoure Rennes-le-château conduit aussi, de manière formelle à Puivert ? Tous les chemins mènent à Puivert.        Nous avons bien une carte au trésor, en l’occurrence une toile de peinture et un coffre, le château de Puivert. Pour quel trésor ? Quelle clé ? Ce sont dès lors les questions qui viennent naturellement à l’esprit

Ces questions ont des réponses. Les bergers d'Arcadie est une toile à trois degrés. Le premier, nous l’avons vu, indique l’endroit par un judicieux mariage d’observations à partir de la tour et de trompe-l’œil.

Poussin a construit sa toile sur le principe des degrés. Le premier, nous l’avons vu, nous conduit à Puivert, et se lit de gauche à droite, de la lumière aux ténèbres, ou l’inverse, d’ouest en est. Le second, se conçoit pas du sud au nord, mais de l’extérieur vers l’intérieur de la terre. Quant au troisième, c’est la clé pour pénétrer dans le sanctuaire

La première question qui vient naturellement à l’esprit une fois que l’on a admis la possibilité que Puivert puisse être le réceptacle d’un trésor, c’est de s’interroger sur ce dernier. En quoi peut-il constituer ?

Il n’est pas dans mon propos ce soir de révéler le contenu, mais simplement de vous orienter vers ce que seront les trames des deux autres volumes de ma trilogie. Aussi incroyable que cela puisse être, cette découverte nous mènera vers l’Egypte antique et même si je suis conscient que cette idée peut heurter, je ne suis pas le premier à l’émettre, je pense notamment ici, encore une fois à Michel Lamy, mais également à Michel Moreau.

   Cela peut paraître impensable, mais cette vision n’est pas si absurde que cela. Outre Nicolas Poussin, nous disposons d’un certain nombre d’éléments, de découvertes et de travaux. On peut aussi, dans certains cas, s’interroger sur l’utilisation de l’Argot, que l’on appelle le langage des oiseaux, ou sur ces statuettes égyptiennes retrouvées à différentes époques, mais que l’on tait au grand public.

Un certain nombre d’autres éléments vont déjà en ce sens, mais ont été rapidement écartés, car ne rentrant pas dans l’acceptation générale que l’on donne de l’Histoire en général et de celle des Cathares en particulier. Il est possible de s’interroger sur une autre lecture, comme celle de l’ankh, par exemple, symbole que l’on connaît, mais dont personne ne peut dire à quoi elle correspond très exactement.

Des éléments, mais également des indices, comme l’origine incertaine du mot Languedoc, l’anagramme parfaite du tombeau pouvant renvoyer au Dieu majeur de notre histoire, c’est-à-dire Pharaon ou encore les rites, la toponymie ou l’étymologie.

Pour revenir à Puivert, on peut s’interroger sur cette forme de barque et ce lac qui renvoient à celle des morts des égyptiens. De même, on pourra sans problème établir un rapprochement entre la mère primordiale, Isis et cette dame Blanche qui hante le château de Puivert.

Pour en foncer un peu le clou, on pourra encore établir un lien avec les instruments de la salle des musiciens qui viennent d’Orient et d’Egypte. Mais la preuve viendra, une fois encore de Poussin et de son tableau par la mise en relief du second degré de sa toile, même si sa devis ou son sceau peuvent déjà apparaître comme un signe adressé par le génie.

D’autres toiles semblent témoigner de cette orientation, sans compter Cassiano dal Pozzo, un des mécènes de Poussin, Le spécialiste de l’Egypte pour l’époque.

Je conçois très aisément toute le scepticisme, la défiance, voire l’ironie qui peuvent se dégager de mes propos et il n’y a qu’une solution pour se rendre compte de la portée de cette invention : celle de monter en haut de la tour de Puivert. Pour ma part, je sais que le chemin sera long, sinueux et incertain. Le chemin continue et il est semé d’embûches et de portes qui se ferment.

UNE NOUVELLE HYPOTHÈSE